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[Enquête] Le cas Viagogo : entre marché noir et bourse d’échange officielle

Viagogo, d’origine anglaise, est une bourse d’échange de billets présente dans cinquante pays du monde. Grâce à sa plateforme Internet, Viagogo permet à des particuliers de revendre des billets d’événements culturels ou sportifs. La question est de savoir si Viagogo est un site officiel de revente, ou s’il permet d’alimenter le marché noir.

L’historique judiciaire de Viagogo en France

Mis en ligne en 2006, la place de marché Viagogo se caractérise par des partenariats avec des clubs de sports, des producteurs, ou même des artistes, afin de pouvoir revendre en toute légalité, et avec l’accord des organisateurs d’événements, des billets de particuliers. Ces partenariats permettent de contrôler et de gérer la revente des billets.

Cependant, Viagogo a eu de nombreux démêlés avec la justice. Même en étant une société de droit américain, Viagogo reste sous le joug de la loi française. En France, la loi Loppsi 2 de 2011 annonce qu’« il est interdit […] de revendre des billets de concert au-delà de leur valeur nominale. »

En 2011, l’entreprise est condamnée par le tribunal de Brest pour avoir commercialisé des billets du festival des Vieilles Charrues au dessus de la valeur nominale. Ensuite, l’Opéra de Paris a demandé la fermeture du site pour les même motifs. En 2012, l’entreprise a du faire face aux Enfoirés : étaient disponibles sur la plateforme des billets 20 fois plus cher. En 2013, les productions Corida, Alias, Camus Productions, Nous et TS3 assignent en justice Viagogo pour la revente de billets sans autorisation de leur part. Dernièrement, en avril 2014, Viagogo a perdu contre la Ligue de Football Professionnel ; face au tribunal de grande instance de Paris, Viagogo a du retirer de la vente des billets pour la finale de la Coupe de la Ligue.

Les Vieilles Charrues et les Enfoirés ont gagné les affaires, et les billets ont été retirés de la vente sur Viagogo, dans la mesure où ces événements sont subventionnés par des collectivités.

L’entreprise se défend ; ce n’est qu’une plate-forme d’échange entre particuliers, et le marché s’auto-régule, ne laissant pas la place à des prix trop élevés.

Cependant, la situation reste compliquée. Si Viagogo a établi une association avec le club de foot du PSG, la revente des billets de la Coupe de la Ligue a été interdite, alors même que le match se jouait entre le PSG et l’OL.

Viagogo est alors une plateforme qui propose la revente des billets, mais ne contrôle pas les billets et les prix exercés par les vendeurs, comme sur d’autres plateformes d’échanges classiques. Paradoxalement, Viagogo gère de manière officielle la revente de certains événements, et ne contrôle pas du tout le reste des ventes, adoptant une position de total laissez-faire.

Une plateforme non transparente pour les clients : témoignages

Viagogo propose un service d’échange de fans à fans, et a pour vocation de servir le client. Cependant, la plateforme n’est pas transparente pour ses clients, et l’entreprise est difficilement joignable par les usagers. Nous avons recueilli des témoignages de clients.

Johanna Souil a accepté de témoigner pour MaGestionBilletterie. Il y a quelques mois, elle a voulu acheter des places pour le concert de Tal. Le concert étant complet, elle s’est rendu pour la première fois sur Viagogo pour acheter 4 places pour le concert du 30 mars à 20h. Initialement vendus à 25€, le prix était doublé sur la plateforme.

Cependant, en vérifiant les billets quelques jours avant l’événement, Mme. Souil a constaté que les billets étaient pour un concert à 17h et non à 20h comme stipulé sur le site Viagogo, qui ne propose que 20h comme horaire de manifestation.

Suite à ça, Mme Souil a tenté de contacter le service après-vente de Viagogo. « J‘ai d’abord envoyé un mail et Viagogo m’a répondu qu’il « voyait aucune raison qui expliquerait pourquoi les billets reçus ne sont pas valides ». J’ai finalement trouvé le numéro de Viagogo sur un forum. Le premier interlocuteur nous a expliqué que Viagogo allait nous rembourser après l’envoi du justificatif d’achat. Le lendemain, sans nouvelles, nous avons rappelé. Les deux autres interlocuteurs nous ont répondu que ce n’était pas le problème de Viagogo si les billets n’étaient pas valides pour le concert, que la plateforme était libre de vente, et que Viagogo n’exerçait aucun devoir de contrôle sur les billets vendus. Finalement, ils nous ont conseillés de revendre ».

Finalement, Johanna Souil n’a pas été remboursé et déplore que l’entreprise ne se porte pas garante des billets vendus sur sa plateforme.

Ainsi, Viagogo ne possède pas de numéro de service client, et n’est donc pas joignable par les clients. Nathalie Hochedez a revendu des places pour un concert de Depeche Mode au mois de novembre 2013. Le concert a été annulé après qu’elle ait envoyé ses places à Viagogo. « J’ai cherché à joindre Viagogo, afin de pouvoir récupérer mes places, et de pouvoir me faire rembourser. Mais je n’ai trouvé aucun numéro pour les joindre, et mes mails sont restés sans réponse. Cependant, Viagogo m’a renvoyé mes places 2 semaines après l’annonce de l’annulation, mais sans aucune nouvelle de leur part. »

Le service, supposément centré sur le client, ne favorise pas les échanges avec les clients, et reste très obscur sur la gestion des places mise en vente.

La source des billets : le « scandale » des ventes de billets sur Viagogo

En février 2012, la chaîne anglaise Channel 4 diffuse le programme Dispatches, sur le sujet de la revente des billets, plus particulièrement sur le cas de Viagogo. Le reportage « The Great Ticket Scandal » montre des journalistes en immersion au sein de l’entreprise, et dévoile l’envers du décor.

Viagogo emploie plus de 100 salariés à Londres. L’entreprise s’annonce comme la première plate-forme de revente de billets en Europe, et se proclame comme l’interface de revente de billets « de fans à fans ». Viagogo se distingue des plateformes classiques de bourse d’échange, comme eBay : les vendeurs sont anonymes, et c’est Viagogo qui se charge de la transaction et de l’envoi des billets.

Cependant, le reportage montre que la réalité est autre. L’entreprise reçoit des allotements de la part des producteurs, des salles de concerts et des distributeurs du premier marché. Des tickets issus du premier marché sont directement alloués à Viagogo, qui devient un distributeur. Des producteurs comme Live Nation ou SJM donnent un contingent à Viagogo, ce qui permet de vendre des tickets deux ou trois fois plus cher que la valeur nominale. De plus, Viagogo fixe les prix et récupère 10% du prix du billet, et 15% des frais de locations.

De plus, les producteurs, les billetteries et Viagogo se réunissent régulièrement pour baisser ou monter les prix en fonction de la demande, appliquant ainsi les principes du yield management. Cependant, les artistes et les salles ne sont pas forcément au courant de ce marché, et encore moins l’acheteur potentiel.

Si Viagogo n’a pas d’accord avec des producteurs, les employés sont dotés de cartes de crédit pour acheter directement des tickets à des distributeurs de premier marché, pour les revendre plus cher sur leurs plateformes. Viagogo devient alors un revendeur, et empoche aussi bien les frais de commissions que la marge sur les billets revendus.

Enfin, Viagogo est en contact avec des revendeurs professionnels, des courtiers, appelés « powersellers », comme sur eBay. Ils investissent sur une grande quantité de billets issus des distributeurs, pour les revendre via Viagogo. Ils sont également en contact avec des salles de concerts et des distributeurs.

En résumé, en un mois, sur 38 000 tickets vendus, 11 000 sont issus des « powersellers », 10 000 sont des billets vendus par Viagogo (issus des distributeurs, producteurs, ou achetés directement), et seulement 9 000 par des individus.

viagogo-stats-reventeUne autre entreprise, SeatWave, site de revente de billets, adopte les mêmes techniques que Viagogo. En 2010, elle publiait la composition des ventes sur son site. Ces chiffres peuvent être une estimation de ceux de Viagogo.

Viagogo qui se proclame comme une bourse d’échange entre fans « ne désavoue pas l’implication de plus grands vendeurs, dont des organisateurs d’événements », annonce l’entreprise dans un communiqué de presse.

Il se pose alors comme un distributeur ayant plusieurs sources d’allotement, et pratiquant le yield management.

Le modèle économique de Viagogo peut-il être transposé à des distributeurs du premier marché ?

Mais alors, pourquoi Viagogo continue de se présenter comme une place de marché pour et par les fans ?

Il apparaît que le marché secondaire des tickets implique tous les acteurs de la billetterie, des organisateurs d’événements aux billetteries du premier marché, en passant par les revendeurs professionnels et les consommateurs finaux.

Peut-on parler de supercherie géante, ou de l’instauration d’un nouveau système économique, permettant de mettre en place le yield management ? La France, par peur de faire de la culture un modèle commercial, ne serait-elle pas en train de rater une opportunité de faire vivre les productions culturelles, alors même que les subventions diminuent ?

En France, les sites de revente peuvent alimenter le second marché avec l’autorisation du producteur. Si le consommateur est prêt à dépenser plus pour un billet, que l’achat est traçable, et que la production n’est pas lésée, on peut se demander pourquoi ce modèle économique n’est pas transparent, pour permettre d’informer au mieux le client qui serait maître de ses moyens. La plateforme pourrait alors se concentrer sur sa capacité à servir le client, en l’intégrant dans une démarche transparente et clarifiée.

Viagogo n’a pas souhaité commenté.

Propos recueillis par Clara Pillet.

Crédit : Viagogo – Illustration : MyOpenTickets

Une réponse sur « [Enquête] Le cas Viagogo : entre marché noir et bourse d’échange officielle »

Bonjour,
j’ai pu goûter récemment aux méthodes frauduleuses du site Viagogo.
En effet, je l’ai utilisé pour revendre 4 places du match PSG Rennes en mai 2012. Après que le site m’ait prévenu que la vente à l’acheteur était effective, j’attendais donc mon paiement.
Quelques jours plus tard, je reçois un message de Viagogo m’indiquant que le paiement a échoué. Je retourne alors sur le site, vérifie le numéro de compte que j’avais entré après avoir choisi comme méthode de paiement « French Direct Credit ».
A nouveau le paiement échoue, je choisis donc de changer de méthode de paiement dans les paramètres et choisis de rentrer mon code IBAN, le paiement échoue à nouveau.
Je contacte le service client via le site internet (impossibilité de trouver un numéro de téléphone et/ou une adresse mail), et leur propose de, premièrement, leur transmettre directement mon RIB afin qu’ils s’occupent eux-mêmes du paiement et/ou de me joindre sur mon téléphone.
Ils ne m’ont seulement répondu de vérifier la validité du numéro rentré.
J’ai essayé de changer encore une fois d’IBAN à French Direct Credit. J’ai contacté plusieurs fois le service client, jusqu’à recevoir un numéro de téléphone sur lequel je pouvais les appeler (09 75 18 17 41) (on doit être la semaine du 16/06).
Je les appelle, et fais part de mes problèmes (qu’ils connaissent puisqu’ils ont accès à tous les mails que leur ai envoyés).
La conseillère téléphonique me dit alors que la méthode French Direct Credit ne fonctionne pas, qu’il vaut mieux utiliser la méthode IBAN, qu’il ne faut pas mettre d’espace entre les caractères, etc…
Bref je soupçonne fortement Viagogo de tout faire pour retarder le paiement aux vendeurs de leur vente afin de gagner des jours, voire des semaines dans mon cas, de date de valeur.
En espérant que ce témoignage en aide certains.
Cordialement,

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